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Depuis sa création, Logidoo s’est fixé pour ambition de transformer la logistique en Afrique – non seulement en disposant d’infrastructures, mais surtout en bâtissant un réseau « numérique + physique » capable de connecter les marchés africains entre eux et avec le reste du monde. L’annonce récente de l’acquisition de Kamtar marque une étape clé de cette stratégie.
Nous observons cette tendance chez les start-ups francophones africaines ambitieuses qui se développent au-delà de leurs marchés nationaux. La semaine dernière, nous avons analysé REasy et la viabilité de son objectif visant à faciliter les échanges transfrontaliers pour les PME africaines. Aujourd’hui, nous nous intéressons à Logidoo, un géant de la logistique qui a fait la une des médias la semaine dernière.
L’annonce récente de l’acquisition de Kamtar marque une étape clé dans cette stratégie.
Au vu de l’importance de ce secteur, il est constructif de se familiariser avec le modèle d’une startup comme Logidoo, le contexte de la demande logistique en Afrique de l’Ouest, l’acquisition et sa portée, ainsi que les défis et perspectives.
Passons à la dépêche du jour.
Logidoo a été fondée en 2019 par Tamsir Ousmane Traoré, un entrepreneur sénégalais qui, après une carrière dans la logistique et l’enseignement en chaîne d’approvisionnement, lance la startup afin de connecter les marchés africains par la logistique digitalisée. Parmi les investisseurs qui ont soutenu Logidoo figurent plusieurs fonds de capital-risque africains comme entre autres le pan-Africain Launch Africa Ventures, les marocains Maroc Numeric Fund II and Kalys Ventures, le tunisien 216 Capital, l’éthiopien Gullit VC, le nigérian Founders Factory Africa, et l’égypto-japonais Sunny Side Venture Partners.
Effectivement, dès ses débuts, l’entreprise s’est positionnée comme une plateforme logistique transfrontalière couvrant toutes les étapes de la chaîne – transport international, entreposage, last-mile, digitalisation. En termes de traction : peu avant sa levée de fonds de février 2024, Logidoo mentionnait avoir agrégé plus de 3 000 prestataires logistiques, accompli plus de 100 000 opérations, et servi plus de 400 clients dans plusieurs pays africains. Elle a aussi lancé des sous‐marques/services comme Afridoo (ERP/OMS/WMS pour commerçants africains) et TexMiles (livraison last‐mile) pour couvrir des segments plus larges.
En février 2024, Logidoo a annoncé un tour de seed (amorçage) de 1,55 million US$ (≈ 1,55 M USD) mené par un consortium incluant Maroc Numeric Fund II, 216 Capital, Gullit VC, Founders Factory Africa, Sunny Side Venture Partners et Kalys Ventures. Cette levée a servi à financer l’expansion dans de nouveaux pays africains, renforcer la plateforme technologique, et développer les services de logistique transfrontalière.
Plus tard en juillet, Logidoo a également obtenu une subvention de 50 000 USD de le Centre de recherches pour le développement international (IDRC) pour développer des solutions d’intelligence artificielle visant à optimiser les processus logistiquesAutre fait marquant : l’entreprise revendique avoir atteint l’EBITDA positif dès janvier 2023.
En résumé, Logidoo est passée de la création à une phase de croissance financée, avec une ambition continentale claire. De plus, ces investissements démontrent la confiance des investisseurs sur le modèle “5PL transfrontalier” de Logidoo. Grâce à cette base financière et stratégique, Logidoo peut aujourd’hui se positionner comme un acteur logistique de premier plan en Afrique de l’Ouest, avec une ambition de réseau continental.
Offre et positionnement
Le modèle que décrit Traoré dans ses réponses est centré sur :
- l’intégration des flux physiques (transport international, dernier kilomètre) avec une plateforme numérique unique.
- la couverture du formel et de l’informel (transporteurs, PME, commerçants) pour « ne laisser personne de côté ».
- la création de corridors logistiques interconnectés (par route, mer, air) et de hubs régionaux.
- l’outil Afridoo pour offrir aux commerçants africains des capacités technologiques avancées (ERP/OMS/WMS + logistique intégrée).
- une vision d’inclusion logistique panafricaine : connecter tous les acteurs (petits transporteurs, commerçants informels, marketplaces) dans un réseau de valeur commun.
Cette stratégie se reflète dans l’acquisition de Kamtar, décrite par Traoré comme une étape de consolidation visant à 1) renforcer la présence sur le corridor Abidjan-Dakar, 2) intégrer une expertise locale ivoirienne, et 3) unifier les flux sous une même plateforme technologique.
2. Le paysage logistique en Afrique de l’Ouest et la place de Logidoo
Pour comprendre l’importance de cette acquisition et de cette stratégie, il faut saisir l’ampleur et les défis du marché logistique dans la région.
Taille et potentiel du marché
Selon un rapport de l’IMARC Group, le marché de la logistique en Afrique de l’Ouest représentait en 2024 environ 45,7 milliards USD. Il est attendu qu’il atteigne environ 71,5 milliards USD en 2033, avec ujn taux de croissance annuel d’environ 5,1 % pour la période 2025-2033. Ce marché est tiré par plusieurs facteurs : expansion économique de certains pays, accords commerciaux régionaux, infrastructure logistique améliorée, montée du e-commerce, investissements dans l’agriculture et les secteurs miniers.
De plus, l’urbanisation rapide, l’essor du e-commerce et des biens de consommation, ainsi que la croissance des exportations agricoles, intensifient les besoins en logistique moderne (entreposage, traçabilité, dernier kilomètre).
Fragmentation et défis
On note aussi que la part du commerce intra-africain reste relativement faible. Par exemple, dans certains contextes la logistique intra-régionale est bloquée par des inefficacités lies aux réalités politiques, sociales et économiques. Comme le souligne Traoré, “le marché du transport et de la logistique en Afrique de l’Ouest reste fragmenté”. Ce constat trouve un écho : infrastructures hétérogènes, réglementations diverses d’un pays à l’autre, manque de digitalisation, forte informalité du secteur transport/logistique, et manque de standardisation. Les conséquences : coûts élevés, délais longs, traçabilité limitée, risques logistiques, barrières frontalières. Ainsi, une entreprise qui met l’accent sur la digitalisation, la standardisation des processus et l’intégration des acteurs, comme Logidoo, répond à une vraie demande de transformation.
Opportunités clés
De ces réalités naissent plusieurs opportunites : le corridor Afrique nord-ouest ou le Maroc, le Sénégal, la Côte d’Ivoire sont des hubs stratégiques. Aussi, l’e-commerce et dernier kilomètre qui voient une forte croissance, un besoin accru de livraison rapide avec suivi et retour de produits. De plus, l’intégration régionale (zone de libre-échange) par la African Continental Free Trade Area (ZLECAF) offre un cadre de développement pour le commerce intra-africain. Enfin, la digitalisation et formalisation des acteurs informels du transport/logistique jouent sur le potentiel d’efficacité et d’efficience.
3. L’acquisition de Kamtar : un tournant stratégique
Pourquoi Kamtar ?
Dans les mots de Traoré : « L’acquisition de Kamtar représente pour nous une étape stratégique majeure dans la consolidation de notre réseau panafricain. Kamtar est une marque forte, pionnière du transport digitalisé en Côte d’Ivoire son intégration dans le groupe Logidoo s’inscrit dans notre vision d’unifier les flux de transport au sein d’une même plateforme technologique. »
Kamtar bénéficie d’une forte présence locale en Côte d’Ivoire, où elle jouit d’une excellente réputation et entretient des relations de confiance avec les transporteurs et les entreprises ivoiriens. Elle a numérisé un segment historiquement informel.
Cette acquisition permet à Logidoo :
- de renforcer son réseau en Afrique de l’Ouest, en particulier dans le corridor Dakar-Abidjan.
- d’intégrer une expertise B2B en matière de transport/gestion de flotte via Kamtar (« plus de 5 000 transporteurs dans son réseau » selon certains articles).
- accélérer la création d’une infrastructure numérique et opérationnelle pour l’Afrique.
- s’inscrire dans une stratégie de consolidation (« buy-over-build ») sur un marché fragmenté.
En d’autres termes, l’acquisition de Kamtar est à la fois un signe de maturité pour Logidoo et une décision stratégique visant à mieux contrôler davantage de maillons de la chaîne logistique.
Comme pour toute acquisition, il y a non seulement des avantages, mais aussi des risques et des défis. Parmi les avantages, on peut facilement citer : une meilleure couverture géographique et un corridor stratégique (Afrique du Nord/Ouest), une expertise locale accrue + une numérisation éprouvée, et enfin la concrétisation de la vision d’un réseau logistique panafricain intégré.
Au niveau des défis, on notera :
- L’intégration des deux entités (culture, processus, technologie) peut être complexe.
- Le marché ouest-africain reste encore plein d’incertitudes (infrastructures, régulations, informalité).
- La nécessité de standardiser tout en respectant les spécificités locales.
Il est donc primordial que l’équipe mette en œuvre aussitôt une plateforme technologique commune. Mais aussi, il faut assurer que les transporteurs existants restent engagés et alignés, pour effectivement exploiter pleinement le corridor Abidjan-Dakar et l’interconnexion avec le Maroc-Sénégal etc.
4. Écosystème et vision d’une logistique panafricaine inclusive
L’écosystème de Logidoo est composé de plusieurs briques :
- transport international et régional (plateforme principale),
- livraison dernier kilomètre (TexMiles),
- solution logicielle pour commerçants (Afridoo),
- marketplaces/apps logistiques.
Via cette « stack », Logidoo vise à créer un acteur de bout en bout. Traoréet son equipe ont la vision d’une “logistique panafricaine inclusive” : « Une logistique qui connecte sans exclure qui intègre les petits transporteurs, les commerçants informels, les marketplaces, mais aussi les grandes entreprises. […] Pour nous, l’inclusion passe par la technologie, mais aussi par la coopération régionale et la formation des acteurs locaux. »
Cette posture est tout à fait pertinente dans un contexte africain où l’informel domine la logistique, où les PME ont souvent un accès limité aux outils numériques, et où l’intégration régionale reste encore embryonnaire.
Pour bien comprendre les raisons qui ont motivé l’acquisition de Kamtar, j’ai rencontré Tamsir Ousmane Traoré, PDG de Logidoo, afin de comprendre comment l’entreprise spécialisée dans la chaîne logistique poursuit son avancée vers un objectif panafricain unique.
Lina Kacyem: Tamsir, que représente concrètement pour Logidoo l’acquisition de Kamtar ?
Traoré: L’acquisition de Kamtar représente pour nous une étape stratégique majeure dans la consolidation de notre réseau panafricain. Concrètement, elle nous permet de renforcer notre présence sur le corridor Abidjan–Dakar et plus largement en Afrique de l’Ouest, tout en intégrant une expertise éprouvée dans le transport B2B et la gestion de flottes régionales. Kamtar est une marque forte, pionnière du transport digitalisé en Côte d’Ivoire, et son intégration dans le groupe Logidoo s’inscrit dans notre vision d’unifier les flux de transport, du dernier kilomètre jusqu’au transport international, au sein d’une même plateforme technologique.
LK: Pourquoi avoir choisi Kamtar parmi les acteurs présents sur le marché ivoirien ?
Traoré: Notre choix s’est porté sur Kamtar pour plusieurs raisons. D’abord, pour la qualité de son ancrage local et la confiance établie avec les transporteurs et les entreprises ivoiriennes. Ensuite, pour sa culture d’innovation et sa compatibilité avec notre ADN technologique. Kamtar a su digitaliser un segment historiquement informel et nous partageons cette même conviction : celle que la transparence, la traçabilité et la data peuvent transformer la logistique africaine. C’est donc autant une acquisition stratégique qu’une rencontre de visions.
LK: Le marché du transport et de la logistique en Afrique de l’Ouest reste fragmenté. Comment comptez-vous apporter plus de fluidité ?
Traoré: Nous pensons que la fluidité passera par l’intégration, la standardisation et la
digitalisation. Notre modèle repose sur la construction de corridors logistiques interconnectés – par route, mer et air – appuyés par des hubs régionaux et une plateforme technologique commune. Nous voulons que, depuis une seule interface, un commerçant, un industriel ou un logisticien puisse expédier, suivre, dédouaner et livrer ses marchandises, que ce soit entre Casablanca et Dakar ou entre Abidjan et Tunis. En d’autres termes, Logidoo agit comme un “backbone digital et opérationnel” qui simplifie les échanges intra-africains.
LK: Votre suite logicielle Afridoo (ERP/OMS/WMS) vise les commerçants africains. Comment favorise-t-elle leur compétitivité ?
Traoré: Afridoo est née d’un constat simple : beaucoup de commerçants africains ont du potentiel, mais manquent d’outils pour gérer efficacement leurs ventes, leurs stocks et leurs livraisons. Notre solution leur offre une plateforme intégrée — ERP, OMS et WMS — qui automatise la gestion commerciale, connecte leurs boutiques physiques et digitales, et s’intègre à nos services logistiques (fulfillment, livraison, cash on delivery, rémittance). En un mot, Afridoo rend le commerce africain plus efficace, plus transparent et plus compétitif, en donnant aux PME locales les mêmes capacités technologiques que les grandes enseignes internationales.
LK: Quelle est votre vision d’une “logistique panafricaine inclusive” ?
Traoré: Notre vision d’une logistique panafricaine inclusive, c’est une logistique qui connecte sans exclure. Une logistique qui intègre les petits transporteurs, les commerçants informels, les marketplaces, mais aussi les grandes entreprises, dans un même écosystème de valeur. Pour nous, l’inclusion passe par la technologie, mais aussi par la coopération régionale et la formation des acteurs locaux. Nous voulons que chaque pays, chaque hub, chaque corridor puisse contribuer à un réseau africain fort, où les flux circulent aussi facilement que les idées et les opportunités.
LK: Quels ont été les plus grands défis rencontrés dans la construction de cet écosystème logistique intégré ?
Traoré: Construire un écosystème logistique intégré en Afrique, c’est faire face à une fragmentation à plusieurs niveaux : infrastructures, réglementations, digitalisation et mentalités. Le principal défi a été d’harmoniser des marchés très hétérogènes tout en bâtissant la confiance entre acteurs formels et informels. Un autre enjeu majeur a été l’accès à des données et infrastructures fiables. C’est pourquoi nous avons investi très tôt dans nos propres outils numériques, entrepôts et corridors, afin de créer une base solide et scalable à l’échelle du continent.
Traoré: Cet axe représente l’un des corridors commerciaux les plus stratégiques du continent. Le Maroc joue le rôle de passerelle vers l’Europe et la Méditerranée, le Sénégal est un hub logistique et financier pour l’Afrique de l’Ouest, et la Côte d’Ivoire constitue un ancrage industriel majeur de la sous-région. En structurant ce corridor Nord–Ouest, nous favorisons non seulement les échanges entre ces zones, mais nous posons aussi les bases d’une véritable souveraineté logistique africaine.
Conclusion
L’acquisition de Kamtar par Logidoo symbolise une avancée majeure dans la construction d’un réseau logistique panafricain capable de répondre aux défis de la fragmentation, de la numérisation et de la croissance du commerce intra-africain.
Avec un marché logistique ouest-africain estimé à 45,7 milliards de livres sterling en 2024 et qui devrait atteindre 71,5 milliards de livres sterling en 2033, les perspectives sont très prometteuses. Logidoo se positionne à la croisée de plusieurs dynamiques : les corridors nord-ouest africains, le commerce électronique, la numérisation et l’inclusion logistique.
Il reste encore un long chemin à parcourir : les défis en matière d’infrastructures, de réglementation, de capitaux et de maturité du marché doivent encore être surmontés, mais je pense que si tout se déroule comme prévu (intégration réussie de Kamtar, montée en puissance des plateformes, standardisation opérationnelle), l’entreprise dispose de tous les atouts nécessaires pour devenir un champion continental de la logistique.
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